MEULES, 2022
En visitant la nouvelle exposition La tendresse subversive, curatée par Abdelkader Damani et Nelly Taravel au FRAC Centre, mon attention a été happée par une œuvre en particulier : un grand dessin de l’artiste Elvira Voynarovska. Une grande surface au brou de noix présente de fortes caractéristiques volumétriques, de manière inattendue. L’échelle du dessin y est pour une grande part. Aussi, la forme de cette surface, resserrée vers le haut, crée un effet de volume. Cette représentation volumique (au moins, on en fait l’hypothèse) est surlignée par un travail long et fastidieux du dessin d’une texture sur la partie inférieure de cette surface. La présence, au sein de l’exposition, de sculptures en terre cuite aux formes similaires, oriente également le regard que nous pouvons porter sur ce dessin. Oui, c’est un volume.
Sur le dessin, nous ne savons pas si la surface texturée recouvre ou creuse la surface au brou de noix. Cette ambiguïté est absente dans les sculptures. Ce sont bien deux modalités de matière distinctes qui coexistent dans les sculptures. Ce qui attire mon attention est que la terre cuite et les tiges tressées des sculptures ne sont pas assemblées comme un(e) architecture aurait pu le faire. Dans les deux sculptures comportant une forme en terre cuite et une forme en tiges tressées, l’une enveloppe l’autre. C’est une double architecture, ou plutôt, une double spatialité, et un jeu subtil entre contenant et contenu.
Ces deux modalités de matières et d’espace, traitées ici de manière minimale (Elvira s’intéresse à la forme archétypale du dôme avec ouverture centrale circulaire, présente dans des habitations ou bâtiments collectifs, parfois sacrés, dans de nombreuses cultures 1 ), créent un sentiment esthétique qui est un sentiment d’espace. Pour le philosophe Pierre-Damien Huyghe, un sentiment s’impose (dans le texte original, le contexte est celui de la perception de la Maison Carrée de Norman Foster discuté par Huyghe) lorsque « les volumes sont semblables, mais pas la relation à la gravité physique. Malgré les différences matérielles présentées par la situation, la relation entre les deux bâtiments est équilibrée : le nouveau ne conquiert pas l’ancien ni ne se trouve, à rebours, écrasé par lui. Les deux constructions se respectent dans leur écart. Elles se font l’une l’autre de l’espace, elles s’accueillent, la seconde pouvant même être considérée comme un hommage à la première, étant entendu que dans un tel hommage, s’affirme aussi, non sans fierté, la différence ou, mieux, la spécialité de l’époque (les matériaux de base, la technicité de la construction ne sont pas et ne sauraient plus être les mêmes). » (Huyghe, 2014). Ce sentiment d’espace résulte de « la manifestation des éléments relationnels, les ouvertures par exemple” y contribuant également (Huyghe 2019, 9).
Les sculptures et le dessin d’Elvira suscitent ce sentiment d’espace, résultant du dialogue spatial entre deux modalités matérielles, formelles et spatiales différentes.
1 « Des fourreaux de trichoptères, ces larves des rivières, aux yourtes des plaines d’Asie Centrale, des termitières d’insectes sociaux aux maisons traditionnelles hogans des navajos d’Amérique du Nord, elle mène une enquête inter-espèces sur les constructions utilitaires ancestrales” (Frac Centre, 2022).
Laurence Kimmel est architecte DPLG, docteure en philosophie de l’architecture et HDR.